•  

    Si une brume épaisse enveloppait encore confortablement le haut de la montagne, le soleil quant à lui avait envahi tout l'intérieur des terres affirmant haut et fort que le jour était bel et bien levé. Au cœur de ce que l'on pouvait appeler un petit village, les enfants avaient longé le cours d'eau jusqu'à la cascade où ce dernier puisait sa source. D'ailleurs, ils restèrent là, sans voix, face au spectacle qui s'était offert à eux. Entre la mélodie issue de la chute d'eau et la farandole de couleurs nées du mariage entre soleil et lac, l'endroit avait des airs de paradis. Ce ne fut que quelques minutes plus tard qu'on les fit entrer dans une grande bâtisse construite au pied de la cascade.

    Après avoir parcouru un long corridor assez étroit où la tapisserie au teint rouge sombre témoignait d'un âge avancé, le petit groupe fut accueilli dans un salon. Ce qui était certains c'est que la pièce ne manquait pas de confort. Long canapé d'angle en cuir noir recouvert de cousins moelleux, table basse présentant une tripotée de livres et de jeux pour tous les âges, télévision à écran plat avec home cinéma et petit feu de cheminée crapotant quelques bulles de fumée de temps à autres. L'espace était idéal pour attendre et c'est justement ce que leur demanda Ginger avant de s'éclipser en compagnie de l'homme qui les avait accueilli. On leur servit au préalable un verre de jus d'orange puis Zoé, Léo et Aaron furent tous les trois délaissés.

    - Qu'est-ce que tu crois qu'on va faire ici ? Demanda Léo qui s'était déjà lancé dans la découverte de toutes les choses laissées à leur disposition.

    Plus en retrait, Aaron observait la pièce avec suspicion tout en tenant sa petite sœur qui s'était blottie contre lui. Il faut dire qu'avec tout ce que la pauvre avait vécu, elle était complètement apeurée. C'est simple : Elle n'avait pas prononcé un mot depuis leur départ de la maison familiale. Comme si elle était victime d'un de ces chocs psychologiques trop intenses causant un trouble de la parole. L'entraînant avec elle, notre adolescent se décida à aller s’asseoir sur le long fauteuil. Zoé s'allongea aussitôt et posa sa tête sur les cuisses de son frère.

    - Je n'en sais rien. Je ne suis même pas sûr de comprendre ce qui nous est arrivé jusqu'à maintenant.

    - Moi je pense que l'on va habiter là maintenant.

    - Sûrement pas ! Contesta Aaron qui espérait rentrer chez lui dès que possible.

    - Mais si, ils ont dit qu'on était en sécurité ici. Donc je pense qu'ils vont vouloir que l'on reste ici.

    - Et bien ils peuvent toujours espérer.

    Plus l'échange entre les enfants avança, plus les répliques du jeune Durtsam se firent avec voracité. Cet emportement créa la surprise chez Léo qui en laissa tomber le paquet de cartes dont il venait de se saisir. Ce fut un petit geste de sa sœur, une simple main posée sur la sienne, qui stoppa Aaron dans son élan d'agressivité. Un lourd silence s'installa alors dans ce lieu pourtant si proche d'un cocon chaleureux. Et si Léo reprit ses activités en ne prononçant plus le moindre mot, Aaron alluma le téléviseur pour l'aider à penser à autre chose.

    Une bonne demi heure s'écoula avant que quelqu'un ne daigne se montrer devant le trio qui avait respecté jusque là un silence religieux. Trois jeunes femmes aux tenues blanches identiques se placèrent alors devant eux avec bienveillance et volupté, avant que celle du milieu ne fasse un pas en avant et ne prenne la parole.

    - Il est temps pour vous de rencontrer Nôrmahra. Lui seul vous conduira vers la lumière pour éclairer votre destinée. Veuillez nous suivre !

    La voix douce et mélodieuse de la demoiselle obligea l'attention des enfants qui ne cherchèrent même pas à discuter. Telles des pantins envoûtés, ils suivirent les trois inconnues en restant toutefois anxieux sur ce qui les attendait. Zoé ne cessait de s'accrocher à son frère telle une sangsue. Le petit groupe longea un nouveau couloir aussi étroit que celui de l'entrée. Ils avancèrent jusqu'à descendre un escalier en colimaçon interminable. La dernière marche les déposa face à une galerie souterraine creusée à même la roche dont la seule décoration était les torches qui éclairaient l'endroit et les tentures fixées au mur par de gros pics de fer forgé. Ces dernières étaient de couleurs diverses et variées, représentant pour la plupart des sortes d'affrontements et plus précisément des batailles de guerre... Les scènes n'étaient pas vraiment joviales.

    - C'est ici que nos chemins se séparent. Prenez ce sentier les garçons et n'ayez crainte car au bout vous y trouverez le trésor qui sommeille en vous.

    Abandonnant l'observation attentive qu'il faisait sur la dernière tenture à sa droite, tenture qui affichait clairement un jeune garçon étranglant la tête d'un monstre possédant un corps composé uniquement d'une fumée noire jaillissant d'une fissure dans le sol, Aaron regarda le sentier dont la jeune femme venait de lui parler. Étroit, sombre et sinueux, avouons le, il ne donnait pas vraiment l'envie de s'y engouffrer. D'autant que de l'autre côté de la galerie se trouvait une porte dissimulée derrière une statut de pierre que l'adolescent avait de suite remarqué. Mais ce ne fut pas ce qui l'intrigua en premier lieu. Non le fait que la femme ait dit « Les garçons » avait fait naître une inquiétude pour sa sœur.

    - Et Zoé ?

    - Rassure toi, elle restera avec nous tout au long de votre entretien. Tu l'as retrouvera plus tard je t'en fais la promesse.

    - Je... D'accord !

    C'était infernal. Aaron avait beau détester l'idée de devoir à nouveau abandonner sa sœur, quelque chose en lui refusait de contredire le discours de son interlocutrice. Elle avait ce petit quelque chose dans les yeux et dans la voix qui virevoltait comme par magie jusqu'à lui pour l’enivrer et se répercuter tels des ricochets dans tout son être. Et puis ce rictus qui gonflait ses pommettes pour en faire ressortir son côté poupée adorable était tout bonnement imparable. Il venait donc d'accepter cette condition sans vraiment le vouloir et regarda sa sœur partir avec les trois femmes, l'air perdu et apeuré.

    - Qui tu crois que c'est Nôrmahra ? Une femme ? Un homme ? Le chef de la ville ?

    - Je n'en sais rien. Tout ce que je sais c'est qu'on va vite aller le voir pour sortir de là dès que possible. Je ne compte pas abandonner ma sœur longtemps.

    - A mon avis, c'est un magicien comme Elyas. Peut-être même qu'il est plus fort que lui. Je suis sûr qu'il a une longue barbe comme les grand magiciens. Du genre Merlin l'enchanteur !

    - Oui oui c'est ça tu as raison. Aller suis moi il faut qu'on avance.

    Le jeune Durtsam n'avait vraiment pas envie de perdre du temps avec des absurdités infantiles. Laissant rêver le plus jeune, il s'aventura le premier dans le sentier en plissant les yeux pour tenter de s'adapter à la noirceur qui les accueillit. Il ne fallut pas plus d'une minute pour que la lumière des torches ne leur soit plus d'aucune aide. Le noir n'était pas complet mais restait fort oppressant. A tel point, qu'Aaron sentit la main de Léo se cramponner à son T-Shirt. Le petiot avait bien du courage de surmonter tout cela sans même pleurnicher. Peu d'enfant de son âge aurait eu le cran qu'il avait. Même Aaron se demanda si il aurait eu l'audace de faire tout ce qu'il faisait. L'ambiance environnante était si obscure que les peurs et les angoisses s'accentuaient sans que personne en est le contrôle. Le moindre petit bruit, le moindre petit craquement de la roche était amplifié par la caverne. Ne pas savoir ce qu'il en était réellement jouait alors le rôle de repas pour l'ange de la peur qui s'amusait sadiquement avec la nervosité des deux petits aventuriers. Pour se rassurer et se rattacher à la réalité, Aaron avait gardé sa main en contact constant avec la paroi. Ainsi, même si le sentier dans la galerie était exigu, il était sûr et certains de la direction à suivre.

    - Aaron ? Tu crois qu'on y est presque ?

    - Je ne sais pas.

    - Mais tu crois qu'on arrive bientôt ?

    - Je ne sais pas je te dis. Je suis comme toi, je ne vois pas dans le noir. Tu aurais du rester là bas si tu as peur.

    - J'ai pas peur.

    - Ah bon ? Et tu peux me dire pourquoi tu me tiens alors ?

    - Je...

    - Chut !

    - Mais je...

    - Chuttt j'ai dit ! J'ai entendu un bruit.

    Le voile du silence se déposa sur les deux têtes blondes. Ils laissèrent s'écouler quelques secondes avant que le bruit perçu ne se fasse entendre à nouveau. Un bruit métallique, une sorte de cliquetis provenant sans doute d'une machine. Oui il s'agissait certainement d'un mécanisme car le bruit se répéta à un rythme constant. Mais qu'est-ce que cela pouvait bien être ? Le pire c'est qu'à force de se concentrer dessus, Aaron était persuadé que le bruit venait précisément de sous leur pied. Ce n'était pas possible. Le noir lui faisait sans doute perdre toute orientation. Seulement, lorsque les entre-chocs de métal se firent brusquement plus rapide, il n'y avait plus de doute possible.

    - Aaron... Tremblota la voix de Léo qui se demanda alors ce qui était entrain de se passer.

    Mais l’aîné n'eut le temps de ne rien dire. Le sol se déroba soudainement les obligeant à chuter sans avoir le temps d'échapper au piège. Dans un dernier réflexe, Aaron parvint in-extremis à s'accrocher aux rebords tandis que la main de Léo, toujours cramponnée à son maillot, le tira vers le bas par ses gesticulations apeurées. Luttant pour ne pas lâcher, l'adolescent tenta un coup d'oeil en bas mais malheureusement une fois encore, les ténèbres dominaient les lieux.

    - Léo ! Léo calme toi et essaye de grimper sur moi.

    - Je... je... je ne peux pas... je glisse.

    A bout de force, le gamin de neuf ans ne put tenir guère longtemps face à une telle situation catastrophe. Le tissu du vêtement glissa irrémédiablement le long de ses doigts pour finir par l'abandonner à son triste sort. Dans un cri d'horreur mêlé à celui d'Aaron, Léo sombra dans les abysses. Enfin c'est ce qui aurait du arriver si la main tendue de l'adolescent n'avait pas rattrapé le bras de son acolyte. Le geste était honorable et les yeux larmoyants de Léo prouvèrent qu'il en était reconnaissant. Seulement, une simple main pour maintenir deux corps dans le vide n'était pas chose facile, surtout pour un enfant de quatorze ans. L'attitude héroïque d'Aaron se transforma alors bien vite en erreur de jeunesse qui allait très vite les mener vers la mort. Ses muscles se crispèrent, ses doigts se raidirent, son visage caricatura la souffrance qu'il avait face à son impuissance. Puis l'inévitable fut : Il lâcha à son tour la prise, les entraînant tous les deux dans une chute au destin tragique.

    La chute parut interminable. Si interminable qu'Aaron eut l'impression à un moment de flotter dans les airs. Les cris du départ s'étaient interrompus comme si la mort avait déjà gagné leur corps et n'attendait plus que leurs os se brisent sur le sol. Mais tout cela n'était que subterfuge car l'adolescent sentit brusquement une force étrange le retenir dans sa descente infernale. Comme si une immense main invisible venait de l'accueillir avec délicatesse. Le vent s’atténua attestant du ralentissement dont il était la cible. Puis soudain, ses pieds touchèrent à nouveau le sol.

    - Léo ? Léo ? Tu es là ?

    - Ouiii... Qu'est-ce qu'il s'est passé ? émit la voix faiblarde du plus jeune.

    - Je n'en sais rien.

    A ces mots, des torches s'embrasèrent comme par magie juste à côté d'eux pour enfin permettre à leur vue de reprendre pleine possession de leurs moyens. La réaction d'Aaron fut aussitôt de lever la tête pour regarder le passage par lequel ils étaient arrivés. Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'il vit son propre visage se refléter sur une substance similaire à de l'eau qui restait fixée au plafond. Qu'est-ce que cela pouvait-il être ? Était-il vraiment arrivé par là ? Curieux, il tendit le bras le plus haut possible, se mit même sur la pointe de pieds. Malheureusement, il était trop petit pour avoir accès à cette paroi étrange.

    - Aaron, je crois qu'on doit passer par là !

    La voix de Léo s'était élevée pour remettre l'adolescent sur le droit chemin. Il chercha son acolyte dans cet espèce de petit sanctuaire dans lequel ils avaient été envoyés. Et il le vit, là, à côté de deux magnifiques statues représentant deux guerriers aux armes acérées. Au milieu de ces dernières, un socle en verre qui s'illuminait d'une lueur blanche était présent et semblait n'attendre que la venue d'une chose à mettre en évidence. Rejoignant Léo d'un pas calme, Aaron observa les sculptures d'un œil intrigué.

    - Et qu'est-ce qui te fait dire ça ?

    - Bah cet écriteau sur le mur.

    En effet, trop encré dans son idée de percevoir le moindre nouveau piège, Aaron n'avait pas vu la plaque dorée qui avait été incrustée au mur. Sur cette dernière on pouvait y lire un message disant que les élus devaient se présenter un à un sur le Socle de l’Éveil. Voilà qui était bien étrange encore. A quoi devaient-ils s'attendre cette fois-ci ? Après une chute dans le néant, Aaron se préparait à tout. Il n'avait pas confiance. Pas confiance en cet écriteau. Pas confiance en ce lieu. Pas confiance en ce monde qui n'était pas le sien. Seulement, son inquiétude n'était pas vraiment partagée par Léo qui monta sans plus attendre sur le socle qui se mit à briller davantage.

    - Non !!! Descends de là ! Hurla Aaron en tendant une main vers lui.

    Seulement, il était déjà trop tard. Dans un éclair aveuglant, le petit garçon venait de disparaître ne laissant qu'un socle vide derrière lui. Un socle qui n'émettait plus aucune lueur. N'écoutant que son cœur, le jeune Durtsam voulut le rejoindre aussitôt et sauta sur le socle en attendant d'être à son tour frappé par la foudre. Il attendit. Attendit encore. Et cela dura quelques secondes qui furent bientôt une minute. Mais pourquoi cela ne fonctionnait-il pas avec lui ? Victime d'une vague d'énervement, Aaron se mit alors à sautiller sur la plate-forme de verre qui ne répondit pourtant pas à ses espoirs. Pire ! Dans son agitation, il loupa de peu le rebord et chuta sur le sol. Accusant la douleur, le souffle court, il préféra rester par terre et se mit alors dos au mur pour tenter de maîtriser toutes ces émotions qui le malmenaient. Inquiétude, colère, angoisse... La vie est parfois bien difficile à surmonter, surtout lorsque l'on se retrouve seul. Genoux repliés, bras enroulés autour, Aaron espérait que tout allait bien pour son jeune ami.

    Il resta dans cette position une dizaine de minutes à ressasser ses doutes et ses peurs. C'est alors, que le socle se remit à briller avec intensité. Il n'aurait su comment l'expliquer, toutefois Aaron était persuadé que son tour était venu. C'est simple de toute façon : l'écriteau disait bien qu'il fallait se présentait l'un après l'autre. Avalant difficilement sa salive, il se releva en frottant ses mains sur son pantalon. D'une démarche hésitante, il avança jusqu'à la plaque de verre puis hésita quelques secondes avant de poser le pied dessus. La lueur s'intensifia comme pour Léo et dans un nouvel éclair Aaron fut le second à disparaître pour une destination inconnue...

     


    votre commentaire
  • Chapitre 10 : Bienvenue à Cirthalan

     

    Alors que le jour n'avait pas encore totalement décliné son identité pour laisser le soleil envahir pleinement l'horizon, une silhouette fit son apparition aux abords d'un long sentier. Un sentier qui s'étalait sur le flanc d'une montagne avant de s'enterrer au cœur même de cette dernière. Des torches aux flammes scintillantes avaient été installées judicieusement tout le long pour l'éclairer à la perfection. Toutefois, si le lieu affichait une certaine sérénité, ce ne fut pas le cas du dernier arrivant. S'écroulant sur ses genoux, laissant alors retomber le morceau de bois qui l'avait conduit jusqu'ici, Aaron semblait avoir perdu toutes ses forces. Savoir que sa mère était en danger sans qu'il ne puisse rien y faire l'avait comme abattu. Il aurait tellement souhaité l'aider. Et puis son père, que lui était-il arrivé ? Pourquoi était-il devenu aussi détestable et hargneux ? Souhaitait-il vraiment sa mort ? Non non cela ne pouvait être vrai. Telle une âme errante, Aaron flottait dans l'océan de la perdition.

    Dans un bruit sec, Elyas ne fut pas bien long à apparaître à son tour. Son arme rengainée au niveau de sa ceinture, il portait dans ses bras la petite Zoé qui s'était blottie contre lui, complètement apeurée. Il jeta un regard à Aaron mais ne perdit pas de temps à tenter de consoler l'adolescent. Il alla récupérer le sceptre de Tancrède puis empoigna son protégé par le bras assez sèchement pour le remettre debout avec force et le traîner vers l'architecture en forme de dôme qui marquait le commencement du sentier.

    - Ne restons pas là ! Ils pourraient venir. Tu ne seras à l’abri que lorsque nous serons à l'intérieur du sanctuaire.

    Menant la danse, Elyas parcourut les quelques mètres en un temps record tandis qu'Aaron se laissait tracter. Il était telle une poupée de chiffon que l'on s'amusait à faire voyager au quatre coins d'une maison. Tel le boulet que l'on attachait jadis aux criminels. Présent mais sans vie. Il n'avait pas conscience de ce qui se passait autour de lui. Son esprit restait prisonnier de ce souvenir si récent qu'il venait de créer en compagnie de ses parents. Pourtant une certaine agitation se faisait autour de lui. Assis sur un banc de pierre, Rayane, Ginger et le jeune Léo attendaient silencieusement leur arrivée. Ils furent donc tous en alerte lorsqu'ils virent apparaître le trio dans un triste état.

    - Elyas ! Mais que s'est-il passé ? Est-ce que tout va bien ?

    - Nous avons évité le pire Ginger. Nous n'étions pas seuls.

    - Mais... Mais comment ?

    - Quelqu'un a du les prévenir.

    - Et Bradock ? Les interrompit soudainement Rayane

    Il est resté là bas pour me permettre d'amener le petit en sûreté. Mais il faut que j'y retourne pour l'aider. Il ne va pas pouvoir tenir longtemps.

    - Je viens avec toi.

    - Très bien. Ginger ? Tu peux t'occuper de les mettre tous en lieu sûr au sein du sanctuaire ?

    - Oui bien sûr. Et si besoin de renfort prévenez nous.

    - Ce sera fait !

    Clôturant la discussion, Elyas relâcha son étreinte qu'il avait sur Aaron sans que ce dernier ne s'en rende vraiment compte. Il confia la petite Zoé aux bras de sa comparse et s'évapora aussi rapidement qu'il était apparu. Rayane ne tarda pas à faire de même. Au cœur du dôme, un silence religieux se fit alors sentir. La peur était perceptible dans les yeux des trois enfants et aucun d'entre eux n'avait le courage de prononcer le moindre mot. Seule Ginger n'était pas victime de cette léthargie ambiante et était déjà entrain de récupérer des sacs d'affaires laissés non loin du banc. Une fois le tout en sa possession, elle se tourna vers les deux garçons toujours muets.

    - Aller ! Suivez moi ! Il ne sert à rien de les attendre ici.

    Pas un sourire, pas un semblant de compassion, Ginger n'était pas enclin à jouer la mère de substitution. Elle s'élança dans le long sentier creusé dans la montagne sans même prononcer une parole réconfortante. Léo hésita un instant à la suivre mais se ravisa à la dernière seconde en se ruant sur Aaron pour lui saisir la main. Surpris, ce dernier pivota la tête et ressentit une étrange sensation en voyant le sourire du petit garçon. Comme si une vague d'apaisement l'envahissait de tout son être par ce simple contact humain. Il sentit un frisson l'envahir puis des larmes lui montèrent aux yeux. Toutefois il se concentra pour ne pas craquer devant Léo. Il ne voulait pas l'effrayer plus qu'il ne devait l'être. Et puis, il avait raison. Bien sûr il n'avait rien dit mais son geste en disait suffisamment pour que le message soit compris par Aaron. Il était inutile de rester là. Prenant une bonne inspiration, notre ami se lança à son tour dans le sentier en compagnie de son jeune acolyte.

    Si l'ascension fut longue et ennuyeuse, lorsque le petit groupe s'enfonça au cœur même de la montagne, la magie du lieu les laissa sans voix. Qui aurait pu croire qu'une montagne si ordinaire et rocailleuse pouvait dissimuler en son sein un tel trésor. Construite dans le cratère, Cirthalan se dévoila enfin aux yeux du jeune Durtsam, qui l'espace d'un court instant oublia tous les malheurs qui le tourmentaient. Il était comme hypnotisé par la vision féerique de l'endroit. Et même si les prémices du jour ne permettaient pas une visibilité complète, les torches installées un peu partout laissaient entrevoir le principal. Mieux encore, elles offraient un accueil magique aux nouveaux arrivants.

    Ce que Elyas avait appelé un sanctuaire était davantage comparable à une petite ville aux architectures aux connotations elfiques envoûtantes. Trois magnifiques tours trônaient au milieu du domaine. D'une grandeur époustouflante, chacune d'entre elles se démarquaient des autres en arborant sa propre couleur : Ambrée pour l'une, argent pour l'autre et marbre pour la dernière. Toutes les trois étaient reliées deux à deux par de longues passerelles. Et aux pieds de ces tours filaient un cours d'eau qui puisait sa source d'une cascade visible tout au nord du cratère. Autrement, on pouvait remarquer diverses petites bâtisses qui se comptaient par dizaine à divers endroits de la ville. Bref, Cirthalan n'avait pas fini de les surprendre.

    - Vous allez vous dépêcher un peu tous les deux ! Une longue journée nous attend donc ce n'est pas le moment de rêvasser, râla Ginger de sa voie nasillarde.

    Sans doute habituée du spectacle, la quadragénaire n'avait marqué aucune pause dans son avancée contrairement aux deux garçons. Elle était donc assez loin devant eux entrain de les fusiller du regard. Et lorsqu'elle vit qu'elle avait capté leur attention, elle reprit de plus belles en entamant la descente qui allait les mener au beau milieu du sanctuaire. Ne tardant pas plus, Léo lâcha la main d'Aaron et partit en courant pour la rejoindre. L'excitation était perceptible dans ses mouvements. Et ses yeux d'enfants brillaient comme le soir de Noël face à un sapin entouré de cadeaux. L’adolescent fut moins expressif. L'envie d'en découvrir plus le tiraillait mais son inquiétude pour sa mère le refrénait. Songeant au fait qu'Elyas était reparti chez lui, il se raccrocha à cet espoir. Avec un peu de chance, il arriverait à temps pour l'aider.

    - Aaron ! Tu viens ? L'interpella la voix de Léo qui était déjà bien loin devant.

    - J'arrive ! Lui répondit-il en levant les bras et en arborant un sourire forcé.

    A son tour, il entama ainsi la descente. C'était donc chose faite : Le quatuor venait de pénétrer dans Cirthalan.

                                                             ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤

    Un léger craquement dans l'air fut révélateur de leur arrivée. Et aux yeux du meneur, tout semblait différent. L'aura menaçante ne flottait plus dans l'atmosphère autrefois chaleureuse de cette maison. Comme si elle avait pris soin de partir avant que les renforts ne soient là. Comme si les rayons naissants du soleil les avaient chassé par leur pureté étincelante. D'ailleurs, il n'y avait plus aucun signe de vie. Juste les traces d'un lourd combat qui avait tout détruit sur son passage. La décoration intérieure des Durtsam n'était plus ce qu'elle était. De nombreux meubles avaient été réduits à néant, des bris de verre jonchaient le sol de partout, les canapés étaient renversés sur le côté et laissaient apparaître plusieurs éventrations. Mais ce qui dominaient la pièce furent ces traces noires. Des traces présentes aussi bien sur le sol que sur les murs ou sur les quelques meubles ayant survécus. Des traces laissées par les corps perforés des elfes noirs qui s'en étaient pris à eux.

    Les yeux d'Elyas s'écarquillèrent en constatant l'ampleur des dégâts tandis qu'il eut du mal à déglutir. Comment les choses avaient-elles pu tourner aussi mal ? Ayant plus de recul, Rayane ne resta pas là figé comme son ami. Les sens aiguisés, il s'avança prestement vers une de ces flaques visqueuses  d'un noir de jais et il y plongea son doigt. Il en renifla la substance, qui dégoulina comme de la confiture avariée, avant de s'essuyer grâce à un tissu qu'il sortit de sa veste. Genoux à terre, il pivota simplement la tête pour regarder Elyas d'un air inquiet.

    - Ils viennent tout juste de quitter les lieux. Je peux sentir leur puanteur aussi clairement que si ils étaient en face de moi.

    - Tu en es sûr ?

    - Aussi sûr que je le peux. Je ne suis plus traqueur depuis un moment.

    Contrarié, Elyas décida de faire confiance à son ami même si cela insinuait qu'il ne retrouverait pas la mère d'Aaron. Sans même le vouloir, il s'était attaché à cet adolescent, à ce jeune homme dont la destinée était maintenant liée à la sienne. Il aurait tant voulu lui apporter une bonne nouvelle. Malheureusement ce ne serait sans doute pas le cas. Il se refermerait une fois de plus sur lui et Elyas mettrait encore du temps à briser l'immense carapace qu'il se plaisait à installer autour de lui. Pauvre gamin. Faisant mine de s'intéresser aux décombres dans le but de chercher un indice, il tourna en rond dans la pièce en empoignant de temps à autres des objets inutiles. Un livre eut même le droit à un joli vol plané sur ce qui restait de l'ancienne table de salon.

    - Elyas ! S'écria soudain Rayane qui faisait la même chose que lui dans un autre coin de la pièce.

    - Quoi ?

    - Regarde ! Du sang ! Du sang humain ! Tu crois que c'est celui de...

    - Bradock.... BRADOCK !!!!

    Cette pensée venait de lui revenir comme un retour violent de boomerang. Pas celui que l'on rattrape avec succès, mais plutôt celui que l'on oublie et que l'on reçoit en pleine tête. A trop se centraliser sur Aaron, il en oubliait qu'il était là pour Bradock. Il l'avait laissé là à combattre seul l'ennemi le temps que l'adolescent soit mis en sûreté. Mais où était-il ? Parti à la poursuite de ceux qui leur avaient tendu un piège ? Non ce n'était pas possible. Ce nain était peut-être doté d'un fort caractère et très têtu, il restait néanmoins l'un des plus droits et respectueux des ordres qu'on lui donnait. Il ne se serait jamais jeté dans la gueule du loup. Mais alors, où était-il donc ?

    Les voix des deux hommes se mirent à s'élever dans toute la demeure. Tout le rez de chaussé fut fouillé de fond en comble et même l'extérieur au cas où quelque chose aurait poussé Bradock à fuir ces murs. Mais il n'y avait aucunes traces de lui. Ils filèrent alors à l'étage mais furent freinés dans leur course pas le bras tendu de Rayane qui montra avec inquiétude d'autres traces de sang présentes tout en haut de l'escalier. Soudain un bruit sourd leur révéla qu'ils n'étaient pas seuls dans ces lieux. Silencieusement, les deux hommes s'observèrent et ils comprirent rapidement dans leur regard respectif ce qu'ils avaient à faire. Ils dégainèrent leurs armes. Une épée pour Elyas tandis que Rayane révéla une fine lame camouflée dans sa canne. Puis, d'un hochement de tête, ils décidèrent d'avancer prudemment, pas à pas, en suivant les traces de sang laissées comme seules preuves d'un passage récent. Secondes après secondes, les cœurs des deux hommes s'emballèrent comme tiraillés par une peur grandissante.

    Le sang les mena jusqu'à la porte de la chambre des parents. Close, elle ne semblait pas avoir bougée depuis qu'Aaron avait été expulsé par sa mère pour le protéger des griffes de son père. La gorge sèche, les mains moites, Elyas s'était plaqué contre le mur et se préparait à tourner la poignée tandis qu'il faisait un signe à son comparse pour se préparer à toute éventualité. Qui sait ce qui les attendait à l'intérieur ? Ami, ennemi ? Le feu vert fut lancé par Rayane et sans attendre Elyas ouvrit avec force la porte qui eut toutefois du mal à tourner sur elle même. Ils pénétrèrent dans la chambre mais rien. Rien d'étrange ne sauta à leurs yeux. Tout semblait à sa place. La fenêtre était fermée, le lit était proprement fait, la commode présentait parfaitement tous ces petites babioles. Il n'y avait pas la moindre trace d'intrusion, comme si la pièce avait été épargnée.

    Mais le silence macabre qui sommeillait ici n'était pas pour les rassurer. Quelque chose s'était produit en ce lieu, c'était une évidence. Elyas voulut connaître l'avis de Rayane mais fut troublé par la terreur qui s'affichait dans les yeux de ce dernier. Le teint aussi blanc que l'ivoire, quelque chose venait de l'effrayer. Et si lui était autant choqué, c'est qu'il venait de se passer quelque chose de grave. Elyas pivota sur lui même pour regarder dans la même direction que son ami et fut alors face à la triste réalité. Là, face à eux, cloué à la porte, gisait le corps sans vie de Bradock. Plusieurs plaies ouvertes étaient visibles sur son corps et son sang avait imbibé une bonne partie de ses vêtements. Cependant, ils savaient que la mort du nain n'était pas due à ses blessures. Non, car il suffisait de voir la noirceur de ses veines pour comprendre qu'il avait succombé à un maléfice d'un grande cruauté.

    Elyas se laissa tomber sur le sol, son arme claquant brillamment sur le parquet. Aucun sons ne sortit de sa bouche. Pourtant il en avait tellement à évacuer : Colère, douleur, rancoeur, rage.... Mais non, c'était comme si il était devenu muet. Seules les larmes qui coulèrent sur ses joues crièrent son mal être tandis que Rayane tenta de poser une main compatissante sur son dos. Toutefois, ce dernier fut attiré par autre chose. Une petite chose qui allait se montrer bien plus importante que ce qu'elle ne laissait paraître. Un morceau de papier dépassait de la poche du veston de Bradock. Combattant sa peine, Rayane alla le récupérer et en parcourut les quelques mots griffonnés. Il ferma les yeux comme anéanti et revint se placer devant Elyas en lui tendant le mot.

    - Je crois que nos ennuis ne font que commencer.

    Les yeux larmoyants, Elyas resta toutefois intrigué par la phrase de son comparse et décida de prêter attention à ce qu'il lui montrait. L'écriture était loin d'être la plus soignée mais on pouvait y lire clairement le message. Un message qui lui glaça le sang. Un message qui disait :

                                                        La mort n'est jamais très loin
                                                 Un faux pas et le prochain trépassera

     

    Suite "Chapitre 11"


    votre commentaire
  •  

    La porte de la chambre s'entrouvrit dans un timide grincement. À pas feutrés, une délicate silhouette s'immisça dans la pénombre et se faufila entre les lits des deux garçons endormis encore profondément. Vêtue d'un pyjama léger et d'une robe de chambre rose pâle, la personne prit place assise sur le matelas d'Aaron et l'observa un instant sans oser le réveiller. D'un geste maternel, elle alla même jusqu'à lui replacer les cheveux qui retombaient sauvagement sur son front. Brusquement, le filet de lumière qui s'échappait de la porte s'agrandit pour illuminer une bonne partie de la pièce. Et ce jusqu'à ce que le visage fatigué d'Edwin soit ébloui. Elle en sursauta et cligna des yeux le temps de s'habituer à cet éclat trop puissant. Lorsque l'habitude se fit, elle vit Elyas sur le pas de la porte qui la regardait d'un air empressé. Il plissa les yeux et lui montra sa montre en tapotant dessus. L'heure était plus qu'arrivée. Elle le savait. Mais réveiller farouchement ces enfants n'était pas une chose qu'elle cautionnait. Elle hocha la tête et commença alors à remuer gentiment l'épaule du garçon de quatorze ans.

    La nuit avait été courte pour Aaron. Déjà qu'il n'avait pas trouvé le sommeil rapidement en raison de tout ce qu'il avait en tête depuis la veille. Sa nuit avait été mouvementée par des rêves et cauchemars en tout genre qui mettaient en scène ses parents. Lorsque Edwin l'extirpa des bras de Morphée, il eut même l'impression de voir sa mère à son chevet. Mais très vite la brume du réveil s'estompa pour laisser entrevoir le visage tout aussi doux de la servante.

    - Il est l'heure ?

    La servante acquiesça avec grand sourire puis l'abandonna pour s'occuper du jeune Léo. Aaron se frotta les yeux et s'empressa de s’asseoir sur son lit. Le moment tant attendu était enfin arrivé. Elyas était toujours présent sur le seuil de la porte et les observait sereinement.

    - Je croyais que tu serais un peu plus pressé de partir ? L'interrogea-t-il avec plein de malice.

    Piqué au vif, Aaron s'empressa de sauter du lit pour s'habiller en un temps record. A l'inverse, Léo eut bien plus de mal à ouvrir les yeux. A tel point, qu'Edwin décida de le prendre dans ses bras et de s'occuper de lui pour le préparer. Fin prêt, le jeune Durtsam rejoignit Elyas qui se recula pour le laisser entrer dans le sas au lustre magique.

    - Nous vous attendons en bas Edwin. Ne tardez pas trop !

    La porte se referma sur la jolie rousse qui était entrain de sortir les affaires du plus jeune résident de la maison. Sans s'échanger la moindre parole, Aaron et Elyas gagnèrent alors le rez de chaussé. L'aîné se dirigea aussitôt vers la bibliothèque suivit par notre jeune ami. Tout le monde était déjà là à attendre sûrement le départ. Rayane était assis tranquillement sur une chaise, plongé dans une lecture passionnée d'un livre parlant de l'inde selon ce que put entrevoir Aaron sur la tranche. Ginger se tenait droite et fière devant la fenêtre, le regard perdu dans l'horizon, caressant avec indifférence son chat. Bradock quant à lui attendait patiemment auprès de la cheminée, une pipe coincée entre les lèvres.

    A l'arrivée du duo, tous les regards se tournèrent vers eux. Des ondes de stress émanèrent de chacun. Du moins c'est ce qu'en ressentit Aaron en voyant les trois se redresser rapidement puis se rejoindre au centre de la pièce en affichant des visages fermés.

    - Il était temps. Nous avons déjà sept minutes de retard sur le planning ! Se plaignit la seule femme présente.

    - Et où est le jeune Rhys ? Enchaîna aussitôt Rayane en le cherchant du regard.

    - Un peu de calme s'il vous plaît. Il n'y a pas de raison de s'inquiéter. Personne à part nous n'est au courant. Donc prenez le temps de respirer. Les choses vont parfaitement bien se passer. Léo va arriver. Edwin s'occupe de le préparer. Est-ce que tout le monde sait ce qu'il a à faire ?

    - Bien sûr ! Pour qui nous prends tu ? Ce n'est pas la première fois que l'on s'occupe d'un transfère.

    La voix de Ginger était bien plus piquante que la veille. Ce qui n'échappa pas à Aaron qui la regardait d'un air troublé. Pourquoi donc paraissaient-ils tous autant tendus ? Ils allaient juste rendre visite à ses parents puis ils partiraient vers ce sanctuaire dont il avait déjà oublié le nom. Rien de dangereux sauf si quelque chose échappait totalement au jeune Durtsam. Mais bon qu'importe, l'empressement avait le monopole chez ce dernier qui trépignait d'impatience de retrouver ses parents. Normal alors de voir ce sourire se dessiner lorsqu'Edwin et Léo les rejoignirent quelques secondes plus tard. Le pauvre enfant avait la tête comme une citrouille et ne semblait pas encore vraiment comprendre ce qui était entrain de se passer.

    - Nous devons y aller. Les enfants dites au revoir à Edwin et rejoignez votre binôme. Léo avec Ginger et Rayane. Aaron avec Bradock et moi-même.

    Léo embrassa la jeune femme sur la joue puis traîna les pieds jusqu'à rejoindre son groupe. Mais la surprise vint de la part d'Aaron. Elle qui pensait ne recevoir qu'un simple au revoir de sa part, Edwin resta abasourdie lorsque ce dernier la prit dans ses bras pour la remercier. Elle en eut les yeux larmoyants mais se retint de pleurer. Pour l'adolescent cet excès de tendresse traduisait en réalité un remerciement déguisé. Celui de lui avoir permis de contacter ses parents pour les prévenir. Bon et puis aussi parce qu'au fond de lui il était tombé sous le charme de ce modèle de gentillesse sur patte. Ceci fait, il rejoignit à son tour son binôme et le départ put enfin être annoncé.

    - Bien, on y va. Rendez-vous à Cirthalan. Et ne tardez pas trop !

    Aussitôt le conseil entendu, Ginger disparut une main posée sur son collier et l'autre tenant son chat. Rayane ne tarda pas à faire de même. Il empoigna une canne qu'il avait laissé posé contre une étagère et demanda à Léo de lui prendre la main. Le trio parti, ce fut autour de celui d'Aaron de faire de même.

    - On se rejoint devant la porte d'entrée.

    Bradock, qui n'avait pas ouvert la bouche jusque là, semblait toujours aussi sceptique à cette idée de faire un détour chez la famille des enfants. Mais résigné, il fit tournoyer sa bague autour de son doigt et sa silhouette s'évapora à son tour. Elyas fut le plus long à partir au grand dam d'Aaron. Il prit le temps de récupérer le bâton qu'Edwin avait descendu à sa demande et confia à cette dernière quelques ultimes recommandations durant son absence.

    - C'est à nous Aaron. Tu connais déjà ce sceptre n'est-ce pas ? A toi de jouer donc.

    Les yeux brillants, notre jeune garçon ne se fit pas attendre bien longtemps. Il lança ses deux mains à l'assaut du morceau de bois sculpté et très vite il retrouva les sensations qu'il avait connu par le passé. Vertiges, lumière blanche puis il plongea dans l'obscurité la plus totale.

                                                             ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤

    Son envol dans l'obscurité dura moins longtemps que dans ses souvenirs. En à peine quelques secondes, il sentit ses pieds se déposer sur sol dur et granuleux. Une route. Puis lorsque le malaise du voyage s'évapora pour lui permettre d'ouvrir les yeux, un bonheur intense put se lire dans l'étoile étincelante perceptible au cœur de ses iris. Il était enfin de retour chez lui. La maison n'avait pas changé. Où peut-être juste au niveau de la pelouse qui avait besoin d'être rafraîchie. Mais il n'allait pas en vouloir à son père. Sans doute avait-il passé les derniers jours, voire semaines, à rechercher son fils. Une vague d'émotion tenta de submerger Aaron qui sentit des fourmis lui parcourir le bout des doigts et son cœur s'emballer comme jamais.

    - Saletés de cabots !!! Ils ne peuvent pas faire ça ailleurs, s'éleva une voix furieuse non loin de là.

    Sans même tourner la tête, l'adolescent en reconnut aisément le propriétaire. Mais le rire moqueur que manifesta à ses côtés Elyas le poussa à la curiosité. Il découvrit alors sans surprise le bougonnant Monsieur Sigrun dans une mauvaise posture. De toute évidence, il n'avait pas eu autant de chance qu'eux en arrivant puisqu'il venait d’atterrir en plein dans des excréments de chien. Le fou rire gagna automatiquement Aaron qui le vit nettoyer sa chaussure avec bien du mal.

    - Ça doit être le chien des Sillester, nos voisins. Il est encore très jeune et enchaîne bêtises sur bêtises.

    - Argh ! C'est donc les maîtres qu'il faudrait éduquer !

    - Oh mais vous savez ils sont très sympas comme voisins. La dernière fois ils se sont même proposés pour garder ma petite sœur et permettre à mes parents de venir me voir à...

    - La gentillesse n'est pas chose conciliante avec les animaux. Il faut de la poigne, de la volonté et du caractère. Croyez vous que mon grand père aurait réussi à apprivoiser un dragon si il avait été « sympa » comme vous dites.

    - Je... Vous rigolez ? Hein il rigole Elyas, ça n'existe pas les dragons ?

    L'air ahuri, Aaron tentait de chercher du réconfort en la personne de l'homme qui l'avait aidé jusque là. C'était invraisemblable ! Ces êtres imaginaires et terrifiants ne pouvaient pas exister. Pourtant, les railleries de Bradock semblaient confirmer ses propos. Jour après jour un nouveau monde se dévoilait à notre jeune garçon. Il nageait dans un océan de peur et d'émerveillement dont il n'avait aucune idée de la profondeur et de la dangerosité. Mais curieux comme il était, en découvrant l'existence de quelque chose ses angoisses disparaissaient bien vite pour ne laisser que l'envie d'en savoir plus. Seulement, pour l'heure, son envie fut vite écourtée par l'air inquiet qu'affichait Elyas en observant la maison.

    - Quelque chose ne va pas l'ami ?

    - Un étrange pressentiment Bradock.

    - De quel genre ?

    - J'ai l'impression que nous ne sommes pas seuls ici. Du moins, nous ne sommes pas les premiers à venir en ce jour.

    - Qu'est-ce qui te fait dire cela ?

    - Ces traces de pas fraîches dans l'herbe qui se dirigent vers la maison mais n'en ressortent pas. Et puis il y a quelque chose d'étrange... comme si nous étions espionnés.

    De nouveau, Aaron était la proie à un vent de panique complet. Cet échange n'avait rien de rassurant. Et le fait de savoir que ses parents étaient peut-être en danger lui était insupportable. Il observa Elyas puis Bradock à la recherche de ce qu'il fallait faire ou plutôt de ce qu'ils comptaient faire. Sa bouche s'assécha, ses mains tremblèrent. Et si l'intuition d'Elyas était dans le vrai, qu'adviendrait-il ? A cet instant, une lumière du haut s'alluma pour laisser apparaître au niveau de la fenêtre une silhouette cachée par le rideau blanc. Cette silhouette, Aaron n'eut aucun mal à la reconnaître puisqu'il s'agissait de celle de sa mère. Poussé par l'amour liant une mère à son fils, le jeune garçon s'élança en courant sans avoir l'approbation de ses accompagnateurs. Ils eurent beau le rappeler à l'ordre, crier son nom, son esprit était déjà ailleurs. Près de sa mère qu'il l'attendait certainement en haut après avoir reçu sa lettre.

    Il entra sans aucun mal puisque la porte n'était pas fermée à clé. Étrange surtout connaissant les manies de son père. Mais qu'importe cela n'avait aucune sorte d'importance à ses yeux. Il gravit l'escalier menant à l'étage aussi vite qu'il le put et traversa le couloir le souffle court en se rapprochant de cette lumière qui débordait de l'embrasure de la porte de la chambre de ses parents. Enfin, arrivé devant, il la poussa fébrilement pour découvrir sa mère assise face à sa commode, se peignant les cheveux. Son parfum enivrant virevoltait déjà dans la pièce.

    - Maman !

    Le mur solide qu'il s'était construit depuis maintenant plusieurs jours s'écroula tel un château de cartes. Il en avait la voix fragilisée par les pleurs et ses joues scintillaient déjà de par les premières larmes qui y dansaient voluptueusement. Enfin, il la retrouvait. Son absence avait duré un peu plus d'une semaine mais le manque avait été si intense que cela lui avait paru une éternité. Surprise par la voix de son fils, Laurena Durtsam se redressa avec affolement tandis qu'Aaron courut pour se blottir tout contre elle. Ils s’enlacèrent longuement tous les deux sans qu'un seul ne brise ce moment si particulier.

    - Ohhh mon bébé. J'ai cru t'avoir perdu. Où étais-tu donc passé ?

    Laurena était toute retournée et Aaron ne pouvait qu'en comprendre les raisons. Lui même avait difficilement vécu cette brusque séparation. Il garda ses mains liées à celles de sa mère mais se recula légèrement afin de pouvoir la regarder dans les yeux. Dans le visage de cette dernière régnait un bonheur immense qu'il partageait tout autant. C'est sans doute à cet instant qu'il se rendit compte à quel point il tenait à sa mère. Rebelle comme tous les adolescents, il avait préféré occulter cette faiblesse. Seulement, avec ce qu'il venait de vivre, il voyait les choses tout autrement.

    - Je suis désolé maman. Je n'ai pas voulu ce qui est arrivé et encore moins te faire de la peine. J'ai même voulu rentrer plus tôt mais on m'en a empêché.

    - Qui ça on ?

    - Des gens. Mais ne t'inquiètes pas ils ont été super gentils. D'ailleurs ils sont venus avec moi pour vous parler.

    - Parler de quoi ?

    - De ce que je suis. Ils disent que je suis quelqu'un de particulier et que c'est dû à une lumière bleue entrée en moi quand j'étais petit.

    Cette révélation fit frissonner Laurena qui afficha un air effrayé. Son teint se mit à blanchir et elle sanglota de plus belle. Cependant, Aaron vit bien que cette fois-ci, les pleurs n'étaient pas les mêmes. Une douleur était palpable dans les traits de son visage. Elle s'accroupit pour se mettre à sa hauteur et eut ce regard chagriné et plein d'inquiétude qu'il détestait.

    - Ohhh mon bébé. Je suis désolé. Je savais que cela ne serait pas sans conséquences. J'aurais du te protéger.

    - Me protéger de quoi ?

    - De moi !

    Cette voix puissante était intervenue de façon magistrale surprenant nos deux protagonistes qui sursautèrent en se tournant vers le nouvel arrivant. Là, fier et froid comme à son habitude, Gabriel Durtsam se tenait devant eux, affichant un air ravi et machiavélique. Laurena s'empara d'Aaron et le tira jusque derrière elle comme pour le défendre.

    - Bon retour à la maison Aaron. Tu sais que tu m'as manqué. Et merci bien pour ce petit cadeau car sans cela je n'aurais pas été présent pour ses si touchantes retrouvailles.

    Dans sa main, écrasé en boule, il dévoila un morceau de papier gris argenté que l'enfant n'eut aucun mal à reconnaître. Il s'agissait de la lettre qu'il avait envoyé pour les prévenir de son retour. Gabriel enserra sauvagement le document avant de le balancer dans un coin de la pièce pour s'en débarrasser. Après tout, il n'en avait plus besoin.

    - Et bien, tu ne viens pas embrasser ton père ?

    - Je t'en prie Gabriel. C'est ton fils ! Tu ne peux pas faire ça.

    - Ne joue pas à la plus idiote Laurena. Nous avions un accord je te rappelle.

    - Je ne suis plus d'accord.

    - Oula mais il est trop tard. Que tu le veuilles ou non, ton fils m'appartient et nous l'enverrons là où il a été décidé de l'emmener.

    - Mais ils vont le tuer !

    - Qu'il en soit ainsi alors. Si c'est pour le bien de notre monde je suis prêt à faire ce sacrifice.

    - Mais est-ce que tu entends ce que tu dis ? N'as-tu donc plus aucun cœur ? Où est passé le Gabriel que je connaissais, celui que j'ai décidé d'épouser et avec qui j'ai fais ma vie ?

    - Tu sais très bien que nous ne pouvons faire autrement.

    - C'est ce que toi tu penses Gabriel ! Depuis qu'ils t'ont offert une place dans leur rang tu es devenu quelqu'un de détestable.

    - Suffit !!!! Donne moi Aaron et je te promet que tu n'entendras plus jamais parlé de moi.

    - Jamais !!!

    Le règlement de compte était arrivé à son paroxysme. Brosse à cheveux en main, Laurena déversa toute sa colère en pointant l'objet en direction de son mari. Ce dernier s'éleva dans les airs et valsa contre le mur de gauche. L'impact fut des plus violents faisant tomber un cadre par la même occasion qui explosa en morceau une fois par terre. La propriétaire des lieux empoigna ensuite son fils et l’entraîna le plus rapidement possible en dehors de la chambre. Seulement, arrivé presque au bout, Aaron sentit la main de sa mère lui échapper avec force. Il se retourna et la vit avec stupeur en proie avec le tapis de la chambre. Ce dernier s'était enroulé autour de ses jambes et l'empêchait de progresser plus loin.

    - Va chercher ta sœur Aaron. Et sortez de la maison !

    La panique se ressentait chez l'adolescent qui ne savait plus comment réagir. Il avait l'impression de manquer d'air tellement son rythme cardiaque et sa respiration s'emballaient. Il n'avait pas envie d'abandonner sa mère mais en même temps il avait bien trop peur. Il ne savait d'ailleurs même pas comment il tenait encore debout tellement ses jambes menaçaient de s'effondrer. Mais un nouveau pic de stress l'obligea à faire quelques pas en arrière lorsque son père montra de nouveau son visage, les lèvres en sang.

    - Tu vas venir avec moi ! Pesta-t-il de colère

    - Fuyez !!!!!!

    Le dernier cri de sa mère, emplit de douleur, fut suivi par un autre geste de sa part qui claqua la porte devant son nez, le protégeant de l'assaut de son père. Tétanisé, Aaron n'avait en tête que les yeux larmoyant et débordant de détresse de sa mère. Instinctivement, il fit un premier pas en direction de la porte mais le hurlement de sa mère revint tel un écho pour le remettre sur le droit chemin. Il se résigna à aller l'aider et se décida à écouter ses ordres.

    Dans un pas de course effréné, il partit en direction de la chambre de sa petite sœur. Sa mission était simple, il n'avait qu'à aller tout droit pour traverser le long couloir et prendre la première porte sur sa droite. Seulement, au moment même où il arriva au niveau de l'escalier menant au rez de chaussé, un homme fut projeté et retomba à ses pieds. Il était recouvert de sang. Aaron ne chercha même pas à comprendre ce qu'il se passait en bas. Il l’enjamba et poursuivit son chemin. Toutefois, il n'avait pas prévu qu'une étreinte se fasse autour de sa cheville et il se rétama de tout son long. Apeuré, il tourna sur lui même et vit que l'homme qu'il pensait mort était encore de ce monde. Le regard noir, les oreilles pointus, il ricana stupidement et se mit à ramper vers le gamin, un couteau à la main. Poussé par la peur, Aaron se débattit violemment de ses jambes et frappa en plein dans la mâchoire de l'homme qui lâcha son emprise. Notre garçon en profita pour s'échapper et gagna la chambre de sa sœur en quelques secondes. Il referma la porte en la claquant et en collant son dos contre, comme pour la retenir contre une éventuelle intrusion.

    - Aaron c'est toi ? Tu es rentré ? Je le savais !!!!

    La voix pétillante et pleine de vie de sa sœur venait de l'interrompre dans son entreprise. Et en même temps, que pouvait-il bien faire contre ce molosse ? Sans réelle surprise, lorsque l'inconnu tenta de défoncer la porte, Aaron valsa au pied du lit de Zoé qui se mit à s'époumoner. Il vit alors la lame de l'homme s'approcher dangereusement de lui et retint son souffle lorsqu'il se jeta sur sa gorge. Mais curieusement, le couteau ne l'atteignit jamais. Son agresseur poussa un bruit étrange et s'effondra à ses pieds pour laisser apparaître derrière lui Elyas. Ce dernier tenait dans sa main une épée dont l'extrémité était enduite d'un liquide noir visqueux.

    - Est-ce que tout va bien ?

    - Oui ! Oui je crois.

    - Très bien alors partons d'ici.

    - Mais... Mais ma mère. Il faut aller l'aider.

    - Trop tard Aaron. C'était un piège tu ne peux rien pour elle !

    - Non !!!!! S'écria-t-il en pleur sous les yeux de Zoé qui restait terrorisée en boule dans son lit.

    - Vous … Vous devez l'aider ! Mon père est devenu fou.

    - Il n'est pas fou c'est un des leurs et nous ne pouvons rien faire pour lui.

    - Mais pas ma mère. Vous devez l'aider !

    - Ta maison est envahie d'elfes noirs Aaron et je suis sûr que d'autres vont arriver en renfort. Bradock se charge d'eux pour le moment mais je ne pense pas qu'il tiendra encore longtemps. Alors même si ta mère est en danger, ma priorité est de te mettre en sûreté.

    - Mais vous dev...

    - Aaron ! Prends ce sceptre ! Je m'occupe de ta sœur. Nous reviendrons ensuite avec des renforts pour ta mère.

    Le désespoir venait de s'abattre sur notre pauvre ami. Il se sentait si impuissant. Un mélange d'émotion le malmenait... De la peur pour sa mère, de la haine pour son père, de la colère pour le non soutien d'Elyas, de la tristesse à l'idée de savoir sa mère peut-être morte. Seulement, à y réfléchir, ce que lui imposait Elyas n'était que la continuité de ce que sa mère souhaitait : Qu'ils soient, lui et sa sœur, à l’abri. Non sans réticence, il attrapa le bâton et comprit bien vite qu'il quittait une nouvelle fois la demeure familiale. Ce qu'il advenait de sa famille ? Seul l'avenir le lui dirait...

     

    Suite "Chapitre 10"


    2 commentaires
  •  

    L'excitation était palpable chez notre jeune garçon. Enfin il allait retrouver Elyas et il espérait sincèrement que ce dernier lui permette de retourner chez lui. Les silences, les non-dits, les changements de sujet ou encore l'ignorance à ses questions n'étaient plus choses permises. Et Aaron comptait bien le lui faire comprendre. Il avait beau jouer à l'homme sympathique, beau l'avoir sauvé et se prétendre être son protecteur, l'adolescent avait besoin de s'échapper de cette prison devenue pourtant chaleureuse. Il avait surtout besoin de retrouver ceux qui lui étaient si chers à ses yeux. Combien de fois avait-il pu penser à sa mère dont les pleurs n'avaient certainement pas pu trouver de repos depuis sa disparition. Ou encore à sa petite soeur qui ne devait absolument rien comprendre de ce qui se passait en raison de son jeune âge. Oui ses proches lui manquaient et Aaron ne pouvait pas continuer à vivre ainsi. Du moins, pas sans les avoir revu au moins une fois.

    L'arrivée dans le salon fut assez remarquée dans le sens où les deux enfants y pénétrèrent presque en même temps au pas de course. Si Léo ne perdit pas une seule seconde pour aller s'asseoir en criant un victorieux « J'ai gagné ! », Aaron calma rapidement ses ardeurs en découvrant qu'Elyas n'était pas la seule personne présente pour le repas du soir. Se figeant sur place, son regard navigua d'un bout à l'autre de la table en insistant tour à tour sur les visages de ces différents inconnus. Au côté d'Elyas, Aaron n'eut pas de mal à reconnaître la dénommée Ginger qu'il avait croisé juste avant de monter dans sa chambre. Ensuite, les choses se compliquèrent car il n'avait jamais rencontré les deux hommes qui s'étaient joints à eux. Le premier était trapu, de petit taille et aussi barbu que son oncle Edouard qu'il comparait au père Noël. L'autre était l'exact opposé : Grand, sec, élancé et victime d'une légère calvitie qui menaçait dangereusement ses cheveux.

    - Bonsoir, balbutia-t-il maladroitement alors que tous le regardaient à présent.

    Une réponse générale se souleva de l'assemblée telle une bourrasque de vent et très vite chacun se replongea dans la discussion qu'il avait interrompu lors de l'arrivée des enfants. C'est donc en silence et calmement qu'Aaron se dirigea vers sa chaise qui se trouvait juste en face de Léo. Puis il s'y installa. Edwin pénétra dans le salon quelques secondes plus tard et commença à servir le repas avec toujours autant d'enthousiasme dans ses yeux. La soirée s'annonçait festive et notre adolescent comprit qu'il lui faudrait attendre encore un peu avant de pouvoir s'adresser à Elyas.

    Les minutes s'écoulèrent sans qu'Aaron ne puisse entrevoir la moindre opportunité de faire sa demande. Les sujets s’enchaînèrent à un rythme endiablé entre les convives qui semblaient très à cran sur certaines décisions à prendre dans un futur proche. Ils parlaient de grandes pertes, d'urgence par rapport à la situation, de protection, de futures attaques... Bref de quoi perdre complètement le jeune Durtsam qui avait finalement préféré se plonger corps et âmes dans la dégustation de son assiette. Seulement, le sujet qui était sur le point d'être abordé allait changer cet état de fait. Ce fut la voix d'Elyas qui domina celle des autres et attira l'attention de tous.

    - Je pense qu'il est temps d'envoyer Léo et Aaron à Cirthalan. Plus nous attendons et plus nous mettons leur vie en danger.

    - Pourquoi se précipiter ainsi, s'étonna Ginger qui posa aussitôt son verre de vin qu'elle avait à peine entamé.

    - Là bas, ils seront en sécurité et protégés par la magie du sanctuaire.

    - Je le sais bien mais ne sont-ils pas en sécurité ici aussi ? Et puis on ne peut pas leur imposer une telle chose sans qu'ils n'aient eu le temps de s'y préparer.

    - Parce qu'il faut faire dans la sensibilité à présent ? Bougonna le petit homme barbu.

    - Moi je trouve qu'elle n'a pas tord Bradock. Ginger a juste voulu dire qu'on pourrait peut-être leur donner le temps de...

    - De quoi ? S'emporta le nain en coupant la parole au dernier des invités qui venait de prendre la parole. De faire un dernier câlin à papa et maman avant le grand voyage ? Je vous rappelle qu'ils ne sont pas loin. Ils rodent tout autour de nous et les récentes attaques nous ont montré qu'ils savaient pour ces enfants. Comment ? Je ne sais pas encore mais je compte bien le trouver. En attendant, renvoyer les gamins dans leur demeure n'est rien d'autre que de les renvoyer à une mort certaine.

    - N'avez-vous pas l'impression de jouer dans le mélodramatique Monsieur Sigrun ? Si telle est votre crainte, on peut toujours les escorter nous-même, l'en informa l'individu.

    - Mélogram... Molodo... Molédro... Arghhh peu importe ! Absolument pas ! Je disais juste que...

    - Je veux aller voir mes parents !

    Cette dernière phrase était arrivée telle une bombe en plein milieu de la conversation ne laissant aucun survivant. Plus personne n'osa parler. Une pseudo mort semblait flotter dans les airs. Tous les regards se tournèrent vers celui qui s'était manifesté. Aaron se tenait là, devant eux, debout, les bras posés sur la table, l'air plutôt agacé. Il avait suivi toute leur petite conversation même s'ils semblaient tous ignorer sa présence et celle de Léo. Pourtant, si quelqu'un avait bien son mot à dire dans l'histoire c'était bien eux.

    - Vous m'avez enlevé puis jeté ici. J'ai bien compris que quelque chose d'étrange rode dehors et pour une raison que j'ignore cherche à nous tuer. Je sais que je suis en danger et que si je reste avec ma famille je la mettrai en danger. Mais... mais j'ai besoin de les voir une dernière fois avant de partir. Juste... Juste pour... pour leur expliquer et... leur dire au revoir.

    Les larmes s'étaient mises à inonder le visage de l'adolescent sans qu'il ne puisse les contenir. La peur avait prit le dessus et son trop plein d'émotion avait eu besoin de s'évacuer. Très vite, Edwin accourut alors vers lui et le prit dans ses bras pour le consoler. Autour de la table, les regards se croisaient et se décroisaient sans que quiconque ne sache quoi dire. Seul Elyas était imperturbable, les yeux fixés sur l'enfant qu'il avait eu la chance de sauver quelques jours auparavant. Une décision devait être prise c'est certains mais le choix était loin d'être facile.

    - Il comprendra avec le temps, glissa alors soudainement Bradock pour tenter de convaincre une énième fois de la folie d'un tel acte

    - Mais vous n'avez donc pas de cœur ?

    - Moi !!! Sachez que je pense d'abord à l'intérêt de tous ôh madame Dangel ! Et je vous dis qu'envoyer ces enfants chez eux serait une belle connerie !

    - Ne prenez pas ce ton supérieur monsieur Sigrun. Nous sommes là...

    - Taisez vous ! Les interrompit Elyas qui n'avait cessé d'observer Aaron depuis ces dernières secondes.

    - Alors que faisons nous ? Demanda la voix plus posée et calme du dernier homme.

    - Nous les conduirons chez eux demain à l'aube, quand la nuit aura tiré sa révérence. Ginger et Rayane vous vous occuperez de Léo tandis que Bradock et Moi seront avec Aaron. Il faudra parler aux familles et leur fournir toutes les explications nécessaires.

    Le souffle bruyant qu'exprima Bradock montra clairement son mécontentement. Toutefois, il ne tenta pas de s'opposer à la décision prise par Elyas. Il se contenta de croiser les bras et de poser son dos sur son dossier tel un enfant faisant la moue. Le seul qui jubila vraiment face à cette décision fut clairement Aaron dont le sourire était revenu aussitôt. Il crut même voir Elyas esquisser un rictus mais ce dernier dissimula ses lèvres derrière son verre.

    - Très bien ! Je pense que nous pouvons passer au gâteau à présent ma chère Edwin, conseilla Ginger qui réajusta un magnifique collier qu'elle portait autour du cou.

    La gouvernante ne perdit pas un seul instant et fila en direction de la cuisine pour revenir quelques secondes plus tard avec un succulent gâteau dans les bras. Elle le posa au centre de la table puis s'empressa de desservir le reste des couverts afin que chacun puisse se servir en dessert. Énergique, elle s'activait autour de la table tout en répondant aux attentes des convives. Ainsi, lorsque Ginger lui demanda le couteau pour couper le gâteau elle décrocha celui qui était fixé à sa ceinture et le lui donna avec grand sourire. Et c'est là qu'Aaron prit conscience de la chance qui s'offrait à lui. La cuillère d'Edwin n'était pas sur sa ceinture. Où était-elle ? Certainement dans la cuisine. Là où elle avait du la laisser en débarrassant ou en allant chercher le dernier plat du repas. Sachant à présent qu'il allait enfin pouvoir revoir ses parents et ce dès le lendemain, l'envoi de sa lettre devenait impératif pour les prévenir. Il n'osait imaginer la joie que ressentirait sa mère en lisant ses quelques mots. Tremblant d'excitation, Aaron prétexta un besoin d'aller aux toilettes. Il s’éclipsa du salon sous les yeux intrigués de quelques convives dont l'attention se reconcentra vite sur la part de gâteau aux trois chocolats qui venait de leur être servie.

    Telle la gente féminine les jours de solde, Aaron déferla dans la cuisine avec un air vacillant entre l'empressement et la folie. Il scruta toute la cuisine à la recherche de la fameuse cuillère. Et brusquement, Miracle ! Elle était là, abandonnée sur la table de travail, entourée de casseroles, d'un moule et de traînées de poudre blanche qu'il n'eut pas de mal à identifier comme étant de la farine. Sans doute les restes de l'activité cuisine à laquelle Léo avait participé en fin de journée. Aaron accourut vers l'objet de sa convoitise. Mais sa précipitation lui joua un bien vilain tour. Tapis dans l'ombre des ustensiles de cuisine, des yeux affûtés l'observaient avec frayeur. Seulement, lorsque la silhouette imposante du gamin s'approcha de trop près se fut le signal d'alerte. Dans un miaulement farouche, un chat noir lui sauta dessus. Par chance, la peur du garçon lui offrit un réflexe lui permettant d'être griffé uniquement au dos de la main droite plutôt qu'au niveau du visage.

    - Aïe !!! Saleté ! D'où tu sors comme ça ? Rouspéta-t-il alors que l'animal prenait la fuite en direction du salon.

    Aaron observa l'étendu des dégâts causés par ce chat dont la réaction avait sans doute été motivée par la peur. Du sang commençait à s'écouler en deux traits fins mais ça n'était pas bien profond. Heureusement, car notre ami savait qu'il n'avait pas de temps à perdre s'il souhaitait prévenir ses parents. Il ne tarda donc pas à sortir de sa poche arrière son petit morceau de papier qu'il déplia pour en relire rapidement le contenu. Une fois sûr de lui, il empoigna la cuillère magique d'Edwin et frappa le papier avec. Seulement, l'effet souhaité ne fut pas au rendez-vous. La feuille n'avait pas bougé d'un pouce, restant éternellement à l'état de papier plutôt que de prendre la forme d'un oiseau. Surpris, Aaron refit un essai, puis un autre, puis encore un autre jusqu'à ce que l'énervement le gagne et qu'ils prononcent une série d'injures.

    - Aaron ? Aaron tu es là ?

    C'était la voix nasillarde de Ginger. Son absence commençait sans doute à faire long. Il devait se dépêcher avant qu'il ne soit trop tard. Mais malheureusement ce foutu courrier ne voulait pas s'envoler. Qu'avait-il mal fait ? Se pouvait-il qu'Edwin lui ait menti ? Non ! Ça devait être autre chose. Aaron ferma les yeux et tenta de repenser à tout ce que la servante avait fait. Mais il eut beau y réfléchir, il ne trouvait pas la solution. Les secondes s'écoulèrent et il vit alors ses espoirs disparaître en sachant pertinemment que Ginger serait là dans très peu de temps. Du coup, ses pensées se dirigèrent vers ses parents qu'il espérait vraiment voir le lendemain. La peur de leur absence le troublait. Il avait besoin de les voir, de leur parler, de les enlacer dans ses bras. Fragilisé par son imagination, Aaron relâcha sans s'en rendre compte son poignet. La cuillère se rapprocha de la feuille jusqu'à la toucher une nouvelle fois.

    - Aaron ! Il serait peut-être bon de répondre lorsque l'on t'appelle mon garçon. C'est toi qui a fait peur à Murdoc ?

    Ginger venait de le surprendre en pénétrant sans bruit dans la cuisine. Tout penaud, l'adolescent se tourna vers elle pour mieux lui parler.

    - Murdoc ? C'est qui Murdoc ?

    - Mon chat ! Celui que j'avais pris soin de laisser dans la cuisine pour que personne ne soit embêté. D'ailleurs, que fais-tu ici ? Tu ne devais pas...

    - Aller aux toilettes. Si si j'y suis allé mais j'ai entendu un bruit ici donc je suis venu voir et votre chat m'a sauté dessus.

    - Ne dit pas de sottises. Murdoc n'attaque que lorsqu'il est agressé. Je suppose que tu as fait quelque chose qui lui a déplu.

    - Mais non ! S'offusqua Aaron face à l'injustice dont elle faisait preuve.

    - Et que fais-tu avec cette cuillère en bois dans les mains ?

    - Je... Euh... Elle était justement par terre quand je suis arrivé et je venais de la ramasser quand vous êtes entrée.

    - Je vois. Bon et bien aller, les autres nous attendent pour le dessert. Ne les faisons pas patienter plus que de raison.

    Faisant tournoyer sa robe, Ginger sortit aussitôt de la cuisine d'un pas décidé, suivi par un Aaron beaucoup moins motivé. Seulement, un gazouillement provenant de derrière lui ralluma la flamme qui s'était éteinte en lui. Il jeta un œil sur la table et constata que sa feuille n'était plus. A la place, un bel oiseau gris le toisait avec intérêt. Heureux, Aaron voulut se rapprocher du volatile mais celui-ci ne l'attendit pas. Prenant son envol, il fit un tour rapide au plafond avant de s'éclipser par la fenêtre qui était restée entrouverte. Ravi, Aaron l'observa prendre le large. Il virevoltait à présent entre les arbres, prenant la direction de la maison de ses parents.

    - Tu veux que je te tienne la main peut-être ?

    La quarantenaire rousse venait de refaire irruption dans la cuisine en le fusillant d'un regard empli de reproches. Soufflant, Aaron ne perdit pas de temps à réagir à sa remarque. Il était bien trop heureux d'avoir réussi qu'il se foutait bien des petites remontrances de cette femme qu'il ne connaissait pas. Il alla reposer la cuillère à l'endroit même où il l'avait trouvé. Puis, il quitta les lieux en ayant cette fois en tête la certitude que demain il verrait ses parents.

    La fin de soirée se passa très vite et dans une ambiance bien plus décontractée que lors du repas. On entendit même Rayane et Elyas rigoler dans un coin de la pièce. Edwin et Ginger échangeaient quelques mots par écrit. Bradock quant à lui s'était coltiné la présence de Murdoc qui ronronnait sur ses jambes alors qu'il tentait de lire le journal. De leur côté, Aaron et Léo jouaient à une partie de cartes avant d'aller se coucher. La scène avait quelque chose d'apaisant. Ou peut-être était-ce parce que depuis longtemps Aaron ne s'était pas senti aussi bien. Demain, il reverrait ses parents...

     

    Suite : "Chapitre 9"


    2 commentaires
  •  Lire l'Histoire

    Bienvenue à vous qui parcourez mon blog. Si vous êtes arrivé ici c'est que l'envie de découvrir mon oeuvre vous intéresse. Nouveau lecteur, petit curieux, intéressé ou lecteur régulier... Tout le monde est le bienvenue ici du moment que cela a pour but de passer un moment agréable de partage et de lecture. Car oui, je rappelle que je suis loin d'être un écrivain professionnel. Je fais cela par passion... Et si au lieu de laisser mes histoires au fond d'un tiroir, je peux permettre à quelques personnes de les parcourir et de s'y attacher alors j'en serais le plus heureux ! Donc si votre intension est de m'assassiner et de critiquer le moindre de mes faits et gestes vous pouvez passer votre chemin... Je suis loin d'être parfait et en suis conscient. Je serais donc ouvert à toutes les remarques constructives. Soyez donc courtois !

     

    Ce petit préambule terminé, je vous dévoile mon oeuvre à présent d'une manière plus ouverte à la discussion et au partage. En effet, auparavant, les commentaires n'étaient pas possibles à chaque chapitre mais les encouragements et conseils de certains lecteurs m'ont poussé à modifier le fonctionnement de mon blog. N'hésitez donc pas à me laisser un mot lorsque vos yeux caraissent la fin d'un chapitre. Cela me permettra de suivre vos avancements respectifs et de connaître vos avis.

     

    Bref, voici donc mon histoire, celle de :

    Aaron Durtsam & Les Flammes de L'Espoir

    "Aaron Durtsam & Les Flammes de l'Espoir" raconte les périples d'un jeune homme de quatorze ans qui découvre bien malgré lui l'existence d'un monde magique qui se dissimule derrière celui que tout être humain connait... Et si la fin du Monde dont nous entendons parler était due à des forces qui nous dépassent ?

    Prologue

    Chapitre 1 : Un Monstre chez la Voisine

    Chapitre 2 : L'Etrange Madame Hildebert

    Chapitre 3 : Une Découverte Flamboyante

    Chapitre 4 : Le Refuge d'Elyas

    Chapitre 5 : De découverte en découverte

    Chapitre 6 : Le Sancutaire des Révélations

    Chapitre 7 : Un Manque Incontrôlable

    Chapitre 8 : Un Choix pour l'Avenir

    Chapitre 9 : Retour à la Maison

    Chapitre 10 : Bienvenue à Cirthalan

    Chapitre 11 : Ecrit [Parution Prochaine]

    Chapitre 12 : En-Cours d'Ecriture [Avancement : 65%]

     





    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique