• Chapitre 2 : L' Étrange Madame Hildebert

    Chapitre 2 : L' Étrange Madame Hildebert

     

    Courant aussi rapidement qu'il le pouvait, Aaron fuyait ce monstre étrange qui le pourchassait depuis l'ouverture de ce satané coffre. Il était tellement apeuré et concentré sur sa survie que jusque là, il n'avait pas fait attention au fait qu'il n'était plus dans la demeure de Madame Hildebert. Où était-il ? Il n'en savait rien à vrai dire... Ah si ces maisons environnantes lui rappelaient celles de son quartier. Oui c'était ça ! Il était dans son quartier, plus précisément juste devant la résidence des Beaux Marais. Entendant un bruit étrange, il vit avec effroi ces deux yeux rouges effrayants gagner du terrain. Sa seule solution fut donc d'emprunter le petit sentier qui longeait toute la résidence et qui pouvait l'amener directement en bout de rue, là où se trouvait sa maison. Seulement, au moment même où il s'aventura sous les arbres qui dominaient entièrement le petit chemin de terre, le ciel s'assombrit pour le plonger dans une obscurité ténébreuse. Surpris, le pauvre enfant n'avait plus assez de visibilité pour lui permettre d'avancer à un bon rythme. Et par malheur, son pied se prit dans une branche qui trainait par là. Il s'étala alors de tout son long sans même avoir le temps de s'agripper à quoique ce soit.

    Une douleur à la tête commença à se fait sentir, tandis que la pluie s'invita à son tour couvrant très vite les environs d'une fine pellicule d'eau. A bout de souffle, Aaron poussa sur ses bras pour se retourner mais au moment même où il se retrouva assis, l'ombre du monstre se fit menaçante juste devant lui. Pas un mot, pas un cri. Rien ne put sortir de la bouche du garçon qui resta là, muet, face à ce qui s'annonçait comme une fin funeste. Doucement, la forme s'avança et les deux yeux rouges laissèrent apparaître un visage... Le monstre était-il humain ? Non ça n'était pas possible ! Aaron tenta de reculer comme il le put grâce à ses mains et ses jambes à la manière d'un crabe qui aurait abusé de l'eau salée. Mais brusquement la silhouette de l'ennemi se rua sur lui et le secoua avec vigueur comme pour le malmener...

    - Aaron !!! Aaron !!! Criait-il d'une voix rauque et colérique.

    Le pauvre garçon n'arrivait plus à réagir. Que se passait-il ? D'ailleurs qui était-ce ? Quelle créature pouvait réussir à parler comme les humains ? La voix grave se changea progressivement une en voix plus aiguë, plus féminine. Et quand brusquement la lune se mit à briller, telle une voiture la nuit en plein phare, la réponse à sa question se fit d'elle-même ... Sa Mère ??? Était-il entrain de rêver ? Était-ce bien sa mère qui tentait de le tuer ? Laurena Durtsam arma sa main et gifla son fils avec rage ce qui l'obligea à se réveiller !

    Dans un sursaut de peur, le coeur battant à tout rompre, Aaron reprit connaissance en poussant un cri. Les yeux écarquillés, il tentait de reprendre ses repères dans la réalité qui faisait sa réapparition autour de lui. Sa mère se tenait à ses côtés et lui tenait fermement les bras. De ses yeux brillants et du sourire qui s'affichait sur ses lèvres, il faisait nul doute qu'elle était heureuse de voir que son fils était enfin de retour avec eux. D'ailleurs elle ne se priva pas pour se jeter dans ses bras et l'enlaça avec amour. Cela fut profitable à Aaron qui put alors prendre le temps de comprendre où il était. Une vieille cheminée, un canapé démodé datant du siècle dernier sur lequel il était allongé, un mobilier vétuste entièrement fait de bois, des cadres et des bibelots affreux installés un peu partout et cette odeur répugnante... Nul doute il était encore chez la vieille folle d'Hildebert !

    - Tu sais que tu nous a fait peur mon chéri ! Encore un peu et on aurait du te conduire à l'hôpital... Voir pire.

    Laurena venait de le lâcher en prenant la parole. Sa phrase se termina par un subtile hoquet qu'elle dissimula à l'aide d'une main sur sa bouche, indiquant qu'elle n'osait pas imaginer ce qui aurait pu se passer si il en avait été autrement. Aaron se redressa tout en apposant une main sur le derrière de sa tête qui lui faisait atrocement mal. Il n'avait donc pas rêvé, il s'était bien cogné. C'est à ce moment là que l'image de la bête refit surface dans son esprit et il ne put s'empêcher de prendre la parole tout en panique.

    - Le monstre... En haut... Dans le coffre, bégaya-t-il d'une manière incompréhensible en faisant des gestes en tout sens pour tenter de se faire comprendre.

    - Calme toi mon chéri. Tu as fais un cauchemar, le rassura sa mère en lui caressant la tête. 

    - Non non ! Je l'ai vu. Il était dans un coffre... Il avait des yeux affreux. Des yeux rouges !

    - Il faut croire que le pauvre n'a plus toute sa tête avec ce violent choc, les interrompit une voix éraillée.

    Madame Hildebert fit alors son apparition dans le salon, apportant avec elle un plateau complet pour prendre un thé ou un café. Habillée d'une robe couleur lavande datant de ses années de jeunesse sans doute, elle s'avança jusqu'à la grande table et y déposa ce qu'elle tenait. Aaron ne put s'empêcher de remarquer qu'elle ne portait pas sa canne dont elle ne se séparait jamais d'ordinaire... Du moins il l'avait toujours vu avec. Mais ceci fut un soucis qui trouva rapidement solution car la vieille dame la sortit de derrière un immense ficus qui faisait sa fierté et l'utilisa à nouveau pour apporter la boisson chaude à sa Laurena.

    - Je suis contente que tu sois réveillé mon garçon. Quand je t'ai trouvé inanimé en bas de mon escalier mon coeur a fait un sacré bond. J'ai de suite appelé ta mère pour la prévenir. Mais je n'ai pas réussi à comprendre ni à expliquer ce que tu faisais là ?

    - J'avais fini de nettoyer votre devanture. J'avais donc envie de vous prévenir et...

    - Et tu as cru bon de t'introduire chez moi sans y être invité. Je suis bien contente de cet incident. Ça te donnera une bonne leçon, lui lança-t-elle sans la moindre compassion tout en allant chercher sa propre tasse.

    Piqué au vif, Aaron décida de se lever et de faire taire cette vieille bique avec ces insinuations.

    - Non ! J'ai frappé ! Mais vous n'avez pas répondu... Et votre porte était ouverte.

    - Et alors ce n'est pas une raison pour entrer chez les gens mon garçon.

    - Mais je ne voulais pas entrer. Seulement j'ai entendu un bruit et j'ai cru que c'était vous. Donc j'ai voulu m'assurer que vous alliez bien.

    - Que voilà une délicate attention.

    Une vague d'énervement venait d'envahir ce cher Aaron qui sentait dans le ton employé par la vieille dame qu'elle n'était pas sincère et qu'elle se moquait de lui. Le pire était cet air satisfait qu'elle montrait fièrement tout en buvant tranquillement une gorgée de son thé. Mais que pouvait-il y faire ? Et puis, sa mère était là à le regarder d'un air désabusée. Manquer de respect ne ferait qu'aggraver son cas. Il décida donc de se taire et de se rassoir sur le canapé en affichant une moue très expressive.

    - Mais comment as-tu fais ton compte pour tomber des escaliers et te cogner la tête, l'interrogea alors sa mère curieuse en tripotant le crâne de son fils pour observer l'hématome visible.

    - Je te l'ai dit. Y' a un monstre ou je ne sais quoi en haut dans un coffre. Ça m'a fichu la trouille !

    Cette révélation laissa les deux femmes pantoises. Les adultes étaient tous pareils de toute façon. Pour eux, les récits irréels des enfants venaient de leur imagination débordante et ne méritaient qu'on en leur apporte la moindre importance. Madame Hildebert le fixa alors de ses yeux perçants tandis que sa mère se mordillait les lèvres, signe qu'elle cherchait une explication logique à ce que venait de raconter son fils.

    - C'était peut-être un animal ? Tu sais la peur peut nous faire voir bien des choses

    - Non ! Protesta Aaron sur la défensive.

    - Et pourtant c'est bien le cas mon garçon ! Enchaîna aussitôt la propriétaire des lieux d'une voix posée et assurée.

    Elle venait de prendre place assise à sa table en prenant soin de déplacer le vase qui trônait juste devant elle. Touillant son thé au jasmin d'une manière délicate à l'aide de sa petite cuillère en argent, elle ne cessait de l'observer.

    - J'ai au moins six chats là haut qui vadrouillent librement tu sais. C'est un peu leur espace de jeu. Il a suffit que l'un d'eux tombe par mégarde dans ce coffre et voilà ce que tu as pris pour un monstre.

    - Mais si je vous dis que j'ai vu un...

    - Aaron ! S'emporta Laurena avec une colère qu'elle n'affichait que dans de très rares cas. Cesses tes bêtises ! Les monstres n'existent pas !

    Elle lui avait lancé ça avec sévérité et enchaîna le tout avec un geste du doigt qui indiqua à son fils qu'il était grand temps de se lever et de laisser tranquille cette dame. Elle en fit de même et reposa sa tasse pourtant si bien préparée sur le plateau qui avait été esseulé. Son visage avait gagné un teint rosé et une mine désolée se figea sur ce dernier lorsqu'elle croisa le regard de la vieille dame.

    - Veuillez l'excusez Madame Hildebert. Je suppose que cela est dû au choc à sa tête.

    - Humm.. Marmonna sceptique cette dernière en scrutant du coin de l'oeil Aaron. J'espère au moins qu'il se souviendra que rentrer chez les gens n'est pas une chose à faire.

    - Oui. Je l'espère aussi. Merci de m'avoir appelé en tout cas. Bonne soirée !

    Madame Durtsam n'avait rien trouvé d'autre à dire. Elle préféra donc saluer une dernière fois son interlocutrice et quitta la demeure en lançant un regard électrique à son fils pour lui faire comprendre qu'il avait tout à fait intérêt à la suivre. Évidement c'est ce qu'il fit mais bizarrement, au moment où il quitta le salon, il eut l'impression que la vieille bique lui souriait. Intrigué, il emboita donc le pas à sa mère qu'il sentait à cran. Il préféra garder le silence tout au long du chemin pour ne pas s'attirer ses foudres. Sur la route, ils passèrent devant le sentier qu'il avait emprunté dans son cauchemar ce qui le replongea toujours plus dans ses réflexions. Se pouvait-il que tout cela ne soit que le fruit de son imagination ? Complètement perdu dans toute cette histoire, il déposa ses mains dans ses poches et poursuivit son avancée tout penaud.

    Tandis que Laurena avançait tel un robot super rapide en direction de leur maison, Aaron ne put s'empêcher de lancer un dernier regard derrière lui. Même si le soleil commençait à se coucher au vu de l'heure tardive, il ne manqua pas ce détail étrange qui lui donna un frisson dans le dos : Madame Hildebert les observait sur le pas de sa porte en se tenant droite comme un piquet grâce à son étrange canne. Et sans qu'il ne la voit bouger le moindre petit doigt, la porte se referma comme par magie. Une seule explication à cela : C'était une sorcière comme on le voyait dans les films. Se faisant peur tout seul, Aaron accéléra son rythme de marche pour très vite se mettre au côté de sa mère. Lorsqu'ils tournèrent au niveau du dernier virage qui les emmenait au bout de leur rue, il souffla, comme libéré d'un poids immense.

    Peu de temps après, la mère et son fils poussèrent la petite barrière qui donnait accès à leur devanture. Ils avancèrent jusqu'au perron et là Madame Durtsam s'arrêta net sans même prévenir ce qui faillit obliger Aaron à lui rentrer dedans. Tracassée d'après l'expression de son visage, Laurena posa la main sur l'une des rambardes de l'escalier et décida de s'asseoir sur les marches tout en prenant soin de conserver le silence pesant qui régnait depuis leur départ de chez Madame Hildebert. Elle observa son fils pendant quelques secondes et au final lui offrit un sourire emplit de son amour maternelle.

    - Tu sais mon chéri. Je ne t'en veux pas pour ce qui vient de se passer. Mais une chose est sûre, si ton père apprends que tu as encore inventé des histoires abracadabrantes, il risque de se mettre dans une colère noire.

    - Mais je n'ai pas... Tenta-t-il de se justifier

    Seulement sa mère le devança en le coupant et en l'obligeant à l'écouter.

    - J'ai bien compris Aaron. Tu as vu un monstre. Toujours est-il que pendant que tu avais perdu conscience, Madame Hildebert et moi-même avons tenté de chercher le pourquoi de ton accident. Et je vois précisément de quel coffre tu parles puisque nous sommes entrées dans cette pièce...

    Son visage se métamorphosa soudainement affichant cette fois un air désolé. Au départ elle n'osa rien dire, préférant prendre la main de son fils et la lui caresser avec amour. Mais elle offrit tout de même la vérité à son enfant pour qu'il cesse de se torturer avec cette histoire.

    - Et il y a avait bien un chat dedans mon chéri. Il devait être affolé d'ailleurs car le coffre était complètement griffé à l'intérieur.

    - Mais... Non... Je...

    Notre pauvre garçon ne savait plus quoi dire ni quoi penser. S'était-il imaginé des choses ? Après tout, maintenant que sa mère lui fournissait ces explications, il se disait que peut-être il avait en effet fait fausse route dès le début. Pourtant il était persuadé avoir vu un bec... Ou était-ce autre chose ? Mais la porte qui s'était refermée toute seule alors ? Et si ceci n'était que la conséquence du petit vent qui montait dehors ? Une nouvelle colère fit rage en lui. Pas contre sa mère, contre lui-même. Comment tout cela était-il arrivé ? Il venait de passer pour un stupide idiot. Et ça, dans le coeur d'un adolescent qui plus est garçon, c'était difficilement gérable.

    - Ne t'inquiète pas mon chéri. Ça doit être le contre coup de ce choc que tu as reçu à la tête. Tu as confondu ton rêve avec la réalité. C'est des choses qui arrivent tu sais. Mais s'il te plait, n'en parlons pas à ton père. Tu sais comment il est. Et je pense que tu as vécu assez de péripéties pour aujourd'hui.

    Énervé, Aaron se sépara de l'étreinte que sa mère portait à sa main. Il marmonna quelque chose d'inaudible et alla se calmer en avançant au bout de la devanture de leur maison. Laurena Durtsam préféra alors abandonner son fils pour rentrer et aller préparer le repas dont l'heure était bientôt arrivée. Posant ses mains sur la clôture blanche, Aaron donna un coup de pied sur l'une des planches qui craqua en guise de mécontentement. Le regard dans le ciel, apercevant les premières étoiles de la nuit, le jeune adolescent tenta d'oublier dans le lointain les noirs souvenirs de sa journée en compagnie de l'étrange Madame Hildebert.

     

    Suite : "Chapitre 3"