• Chapitre 10 : Bienvenue à Cirthalan

    Chapitre 10 : Bienvenue à Cirthalan

     

    Alors que le jour n'avait pas encore totalement décliné son identité pour laisser le soleil envahir pleinement l'horizon, une silhouette fit son apparition aux abords d'un long sentier. Un sentier qui s'étalait sur le flanc d'une montagne avant de s'enterrer au cœur même de cette dernière. Des torches aux flammes scintillantes avaient été installées judicieusement tout le long pour l'éclairer à la perfection. Toutefois, si le lieu affichait une certaine sérénité, ce ne fut pas le cas du dernier arrivant. S'écroulant sur ses genoux, laissant alors retomber le morceau de bois qui l'avait conduit jusqu'ici, Aaron semblait avoir perdu toutes ses forces. Savoir que sa mère était en danger sans qu'il ne puisse rien y faire l'avait comme abattu. Il aurait tellement souhaité l'aider. Et puis son père, que lui était-il arrivé ? Pourquoi était-il devenu aussi détestable et hargneux ? Souhaitait-il vraiment sa mort ? Non non cela ne pouvait être vrai. Telle une âme errante, Aaron flottait dans l'océan de la perdition.

    Dans un bruit sec, Elyas ne fut pas bien long à apparaître à son tour. Son arme rengainée au niveau de sa ceinture, il portait dans ses bras la petite Zoé qui s'était blottie contre lui, complètement apeurée. Il jeta un regard à Aaron mais ne perdit pas de temps à tenter de consoler l'adolescent. Il alla récupérer le sceptre de Tancrède puis empoigna son protégé par le bras assez sèchement pour le remettre debout avec force et le traîner vers l'architecture en forme de dôme qui marquait le commencement du sentier.

    - Ne restons pas là ! Ils pourraient venir. Tu ne seras à l’abri que lorsque nous serons à l'intérieur du sanctuaire.

    Menant la danse, Elyas parcourut les quelques mètres en un temps record tandis qu'Aaron se laissait tracter. Il était telle une poupée de chiffon que l'on s'amusait à faire voyager au quatre coins d'une maison. Tel le boulet que l'on attachait jadis aux criminels. Présent mais sans vie. Il n'avait pas conscience de ce qui se passait autour de lui. Son esprit restait prisonnier de ce souvenir si récent qu'il venait de créer en compagnie de ses parents. Pourtant une certaine agitation se faisait autour de lui. Assis sur un banc de pierre, Rayane, Ginger et le jeune Léo attendaient silencieusement leur arrivée. Ils furent donc tous en alerte lorsqu'ils virent apparaître le trio dans un triste état.

    - Elyas ! Mais que s'est-il passé ? Est-ce que tout va bien ?

    - Nous avons évité le pire Ginger. Nous n'étions pas seuls.

    - Mais... Mais comment ?

    - Quelqu'un a du les prévenir.

    - Et Bradock ? Les interrompit soudainement Rayane

    Il est resté là bas pour me permettre d'amener le petit en sûreté. Mais il faut que j'y retourne pour l'aider. Il ne va pas pouvoir tenir longtemps.

    - Je viens avec toi.

    - Très bien. Ginger ? Tu peux t'occuper de les mettre tous en lieu sûr au sein du sanctuaire ?

    - Oui bien sûr. Et si besoin de renfort prévenez nous.

    - Ce sera fait !

    Clôturant la discussion, Elyas relâcha son étreinte qu'il avait sur Aaron sans que ce dernier ne s'en rende vraiment compte. Il confia la petite Zoé aux bras de sa comparse et s'évapora aussi rapidement qu'il était apparu. Rayane ne tarda pas à faire de même. Au cœur du dôme, un silence religieux se fit alors sentir. La peur était perceptible dans les yeux des trois enfants et aucun d'entre eux n'avait le courage de prononcer le moindre mot. Seule Ginger n'était pas victime de cette léthargie ambiante et était déjà entrain de récupérer des sacs d'affaires laissés non loin du banc. Une fois le tout en sa possession, elle se tourna vers les deux garçons toujours muets.

    - Aller ! Suivez moi ! Il ne sert à rien de les attendre ici.

    Pas un sourire, pas un semblant de compassion, Ginger n'était pas enclin à jouer la mère de substitution. Elle s'élança dans le long sentier creusé dans la montagne sans même prononcer une parole réconfortante. Léo hésita un instant à la suivre mais se ravisa à la dernière seconde en se ruant sur Aaron pour lui saisir la main. Surpris, ce dernier pivota la tête et ressentit une étrange sensation en voyant le sourire du petit garçon. Comme si une vague d'apaisement l'envahissait de tout son être par ce simple contact humain. Il sentit un frisson l'envahir puis des larmes lui montèrent aux yeux. Toutefois il se concentra pour ne pas craquer devant Léo. Il ne voulait pas l'effrayer plus qu'il ne devait l'être. Et puis, il avait raison. Bien sûr il n'avait rien dit mais son geste en disait suffisamment pour que le message soit compris par Aaron. Il était inutile de rester là. Prenant une bonne inspiration, notre ami se lança à son tour dans le sentier en compagnie de son jeune acolyte.

    Si l'ascension fut longue et ennuyeuse, lorsque le petit groupe s'enfonça au cœur même de la montagne, la magie du lieu les laissa sans voix. Qui aurait pu croire qu'une montagne si ordinaire et rocailleuse pouvait dissimuler en son sein un tel trésor. Construite dans le cratère, Cirthalan se dévoila enfin aux yeux du jeune Durtsam, qui l'espace d'un court instant oublia tous les malheurs qui le tourmentaient. Il était comme hypnotisé par la vision féerique de l'endroit. Et même si les prémices du jour ne permettaient pas une visibilité complète, les torches installées un peu partout laissaient entrevoir le principal. Mieux encore, elles offraient un accueil magique aux nouveaux arrivants.

    Ce que Elyas avait appelé un sanctuaire était davantage comparable à une petite ville aux architectures aux connotations elfiques envoûtantes. Trois magnifiques tours trônaient au milieu du domaine. D'une grandeur époustouflante, chacune d'entre elles se démarquaient des autres en arborant sa propre couleur : Ambrée pour l'une, argent pour l'autre et marbre pour la dernière. Toutes les trois étaient reliées deux à deux par de longues passerelles. Et aux pieds de ces tours filaient un cours d'eau qui puisait sa source d'une cascade visible tout au nord du cratère. Autrement, on pouvait remarquer diverses petites bâtisses qui se comptaient par dizaine à divers endroits de la ville. Bref, Cirthalan n'avait pas fini de les surprendre.

    - Vous allez vous dépêcher un peu tous les deux ! Une longue journée nous attend donc ce n'est pas le moment de rêvasser, râla Ginger de sa voie nasillarde.

    Sans doute habituée du spectacle, la quadragénaire n'avait marqué aucune pause dans son avancée contrairement aux deux garçons. Elle était donc assez loin devant eux entrain de les fusiller du regard. Et lorsqu'elle vit qu'elle avait capté leur attention, elle reprit de plus belles en entamant la descente qui allait les mener au beau milieu du sanctuaire. Ne tardant pas plus, Léo lâcha la main d'Aaron et partit en courant pour la rejoindre. L'excitation était perceptible dans ses mouvements. Et ses yeux d'enfants brillaient comme le soir de Noël face à un sapin entouré de cadeaux. L’adolescent fut moins expressif. L'envie d'en découvrir plus le tiraillait mais son inquiétude pour sa mère le refrénait. Songeant au fait qu'Elyas était reparti chez lui, il se raccrocha à cet espoir. Avec un peu de chance, il arriverait à temps pour l'aider.

    - Aaron ! Tu viens ? L'interpella la voix de Léo qui était déjà bien loin devant.

    - J'arrive ! Lui répondit-il en levant les bras et en arborant un sourire forcé.

    A son tour, il entama ainsi la descente. C'était donc chose faite : Le quatuor venait de pénétrer dans Cirthalan.

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    Un léger craquement dans l'air fut révélateur de leur arrivée. Et aux yeux du meneur, tout semblait différent. L'aura menaçante ne flottait plus dans l'atmosphère autrefois chaleureuse de cette maison. Comme si elle avait pris soin de partir avant que les renforts ne soient là. Comme si les rayons naissants du soleil les avaient chassé par leur pureté étincelante. D'ailleurs, il n'y avait plus aucun signe de vie. Juste les traces d'un lourd combat qui avait tout détruit sur son passage. La décoration intérieure des Durtsam n'était plus ce qu'elle était. De nombreux meubles avaient été réduits à néant, des bris de verre jonchaient le sol de partout, les canapés étaient renversés sur le côté et laissaient apparaître plusieurs éventrations. Mais ce qui dominaient la pièce furent ces traces noires. Des traces présentes aussi bien sur le sol que sur les murs ou sur les quelques meubles ayant survécus. Des traces laissées par les corps perforés des elfes noirs qui s'en étaient pris à eux.

    Les yeux d'Elyas s'écarquillèrent en constatant l'ampleur des dégâts tandis qu'il eut du mal à déglutir. Comment les choses avaient-elles pu tourner aussi mal ? Ayant plus de recul, Rayane ne resta pas là figé comme son ami. Les sens aiguisés, il s'avança prestement vers une de ces flaques visqueuses  d'un noir de jais et il y plongea son doigt. Il en renifla la substance, qui dégoulina comme de la confiture avariée, avant de s'essuyer grâce à un tissu qu'il sortit de sa veste. Genoux à terre, il pivota simplement la tête pour regarder Elyas d'un air inquiet.

    - Ils viennent tout juste de quitter les lieux. Je peux sentir leur puanteur aussi clairement que si ils étaient en face de moi.

    - Tu en es sûr ?

    - Aussi sûr que je le peux. Je ne suis plus traqueur depuis un moment.

    Contrarié, Elyas décida de faire confiance à son ami même si cela insinuait qu'il ne retrouverait pas la mère d'Aaron. Sans même le vouloir, il s'était attaché à cet adolescent, à ce jeune homme dont la destinée était maintenant liée à la sienne. Il aurait tant voulu lui apporter une bonne nouvelle. Malheureusement ce ne serait sans doute pas le cas. Il se refermerait une fois de plus sur lui et Elyas mettrait encore du temps à briser l'immense carapace qu'il se plaisait à installer autour de lui. Pauvre gamin. Faisant mine de s'intéresser aux décombres dans le but de chercher un indice, il tourna en rond dans la pièce en empoignant de temps à autres des objets inutiles. Un livre eut même le droit à un joli vol plané sur ce qui restait de l'ancienne table de salon.

    - Elyas ! S'écria soudain Rayane qui faisait la même chose que lui dans un autre coin de la pièce.

    - Quoi ?

    - Regarde ! Du sang ! Du sang humain ! Tu crois que c'est celui de...

    - Bradock.... BRADOCK !!!!

    Cette pensée venait de lui revenir comme un retour violent de boomerang. Pas celui que l'on rattrape avec succès, mais plutôt celui que l'on oublie et que l'on reçoit en pleine tête. A trop se centraliser sur Aaron, il en oubliait qu'il était là pour Bradock. Il l'avait laissé là à combattre seul l'ennemi le temps que l'adolescent soit mis en sûreté. Mais où était-il ? Parti à la poursuite de ceux qui leur avaient tendu un piège ? Non ce n'était pas possible. Ce nain était peut-être doté d'un fort caractère et très têtu, il restait néanmoins l'un des plus droits et respectueux des ordres qu'on lui donnait. Il ne se serait jamais jeté dans la gueule du loup. Mais alors, où était-il donc ?

    Les voix des deux hommes se mirent à s'élever dans toute la demeure. Tout le rez de chaussé fut fouillé de fond en comble et même l'extérieur au cas où quelque chose aurait poussé Bradock à fuir ces murs. Mais il n'y avait aucunes traces de lui. Ils filèrent alors à l'étage mais furent freinés dans leur course pas le bras tendu de Rayane qui montra avec inquiétude d'autres traces de sang présentes tout en haut de l'escalier. Soudain un bruit sourd leur révéla qu'ils n'étaient pas seuls dans ces lieux. Silencieusement, les deux hommes s'observèrent et ils comprirent rapidement dans leur regard respectif ce qu'ils avaient à faire. Ils dégainèrent leurs armes. Une épée pour Elyas tandis que Rayane révéla une fine lame camouflée dans sa canne. Puis, d'un hochement de tête, ils décidèrent d'avancer prudemment, pas à pas, en suivant les traces de sang laissées comme seules preuves d'un passage récent. Secondes après secondes, les cœurs des deux hommes s'emballèrent comme tiraillés par une peur grandissante.

    Le sang les mena jusqu'à la porte de la chambre des parents. Close, elle ne semblait pas avoir bougée depuis qu'Aaron avait été expulsé par sa mère pour le protéger des griffes de son père. La gorge sèche, les mains moites, Elyas s'était plaqué contre le mur et se préparait à tourner la poignée tandis qu'il faisait un signe à son comparse pour se préparer à toute éventualité. Qui sait ce qui les attendait à l'intérieur ? Ami, ennemi ? Le feu vert fut lancé par Rayane et sans attendre Elyas ouvrit avec force la porte qui eut toutefois du mal à tourner sur elle même. Ils pénétrèrent dans la chambre mais rien. Rien d'étrange ne sauta à leurs yeux. Tout semblait à sa place. La fenêtre était fermée, le lit était proprement fait, la commode présentait parfaitement tous ces petites babioles. Il n'y avait pas la moindre trace d'intrusion, comme si la pièce avait été épargnée.

    Mais le silence macabre qui sommeillait ici n'était pas pour les rassurer. Quelque chose s'était produit en ce lieu, c'était une évidence. Elyas voulut connaître l'avis de Rayane mais fut troublé par la terreur qui s'affichait dans les yeux de ce dernier. Le teint aussi blanc que l'ivoire, quelque chose venait de l'effrayer. Et si lui était autant choqué, c'est qu'il venait de se passer quelque chose de grave. Elyas pivota sur lui même pour regarder dans la même direction que son ami et fut alors face à la triste réalité. Là, face à eux, cloué à la porte, gisait le corps sans vie de Bradock. Plusieurs plaies ouvertes étaient visibles sur son corps et son sang avait imbibé une bonne partie de ses vêtements. Cependant, ils savaient que la mort du nain n'était pas due à ses blessures. Non, car il suffisait de voir la noirceur de ses veines pour comprendre qu'il avait succombé à un maléfice d'un grande cruauté.

    Elyas se laissa tomber sur le sol, son arme claquant brillamment sur le parquet. Aucun sons ne sortit de sa bouche. Pourtant il en avait tellement à évacuer : Colère, douleur, rancoeur, rage.... Mais non, c'était comme si il était devenu muet. Seules les larmes qui coulèrent sur ses joues crièrent son mal être tandis que Rayane tenta de poser une main compatissante sur son dos. Toutefois, ce dernier fut attiré par autre chose. Une petite chose qui allait se montrer bien plus importante que ce qu'elle ne laissait paraître. Un morceau de papier dépassait de la poche du veston de Bradock. Combattant sa peine, Rayane alla le récupérer et en parcourut les quelques mots griffonnés. Il ferma les yeux comme anéanti et revint se placer devant Elyas en lui tendant le mot.

    - Je crois que nos ennuis ne font que commencer.

    Les yeux larmoyants, Elyas resta toutefois intrigué par la phrase de son comparse et décida de prêter attention à ce qu'il lui montrait. L'écriture était loin d'être la plus soignée mais on pouvait y lire clairement le message. Un message qui lui glaça le sang. Un message qui disait :

                                                        La mort n'est jamais très loin
                                                 Un faux pas et le prochain trépassera